Intenses bombardements israéliens en Syrie, au moins 13 morts

Funérailles en l'honneur des syriens tués par Israël le mercredi 2 avril dans le sud de la Syrie.
Mercredi noir en Syrie, où Israël a mené simultanément incursion terrestre & frappes aériennes meurtrières.

Les forces israéliennes ont accentué leurs offensives en Syrie dans la nuit du mercredi 2 au jeudi 3 avril, multipliant d’une part les frappes aériennes sur plusieurs régions du pays — notamment Damas, Hama et Homs —  et menant dans le même temps une opération terrestre sanglante dans Nawa, à l’ouest de la province de Deraa, où l’on dénombre près d’une dizaine de morts.

Acte I : Plusieurs sites lourdement bombardés

Premier acte mercredi soir, qui a vu Tsahal viser des infrastructures clés de la défense syrienne. À Damas, une frappe a touché les abords du bâtiment de la recherche scientifique dans le quartier résidentiel de Barzeh. L’aéroport militaire de Hama a lui été lourdement frappé -plus de 10 fois- par l’aviation israélienne, le mettant hors service selon des activistes locaux, information ultérieurement confirmée par l’Etat syrien, frappes ayant par ailleurs tué 4 militaires syriens. Les environs de la base aérienne T4, à Homs, ont quant à eux été touchés par 2 bombardements.

Ces raids s’inscrivent dans la continuité des derniers jours et dernières semaines, Tsahal ayant dès la chute de Bachar al Assad mené plus d’une centaine de frappes sur différents sites militaires dans tout le pays, dans une volonté claire du gouvernement Netanyahu de maintenir une Syrie affaiblie, et d’empêcher à cet effet la Turquie alliée de déployer sur le sol syrien systèmes de défense antiaérienne et flotte aérienne.

Ces sanglants assauts portent toutefois le sceau d’une dangereuse escalade, la population civile syrienne commençant à prendre les armes et riposter frontalement aux forces israéliennes, notamment dans le sud, à Deraa, berceau de la révolution, où 9 civils ont de nouveau été tués dans la nuit de mercredi à jeudi, s’ajoutant aux victimes des frappes des 17 & 18 mars et du 25 mars.

Acte II : incursion terrestre dans le sud syrien

En parallèle de ces bombardements, des unités israéliennes ont lancé, dans la nuit de mercredi à jeudi, un raid terrestre en direction de la ville de Nawa, à l’ouest de Deraa. Des chars ont bombardé la colline de Tel al-Jumu, tandis que des véhicules militaires pénétraient brièvement dans la forêt du barrage de Jibaliya avant de se replier, confrontés à une résistance inattendue de la part d’habitants armés et décidés à ne plus tolérer les agressions répétées de Tsahal, des mosquées ayant notamment incité la population à la résistance.

D’intenses combats ont éclaté, contraignant les forces israéliennes à se retirer temporairement, avant de revenir sous couverture aérienne soutenue. L’aviation israélienne a ainsi mené plusieurs frappes sur Tel al-Jumu, près de Nawa, et dans la zone forestière de Harsh al-Jubailiya. Pas moins de six hélicoptères ont été observés survolant la région. Si Israël affirme avoir visé des positions militaires, des sources locales font état d’au moins neuf civils tués à Jibaliya, tous originaires de Nawa. 

Charles Lister, éminent spécialiste du conflit syrien au Middle East Institute et fondateur de SyriaWeekly, estime qu’Israël a, depuis la chute du régime Assad jusqu’au 2 avril, effectué près de 730 frappes aériennes sur son voisin. 

En outre, le journaliste américain ajoute qu’au cours de la même période, Israël a lancé une invasion du sud-ouest de la Syrie, occupant dans un premier temps la zone tampon du Golan établie en 1974 — avant de progresser de 7 à 12 kilomètres supplémentaires à l’intérieur du territoire syrien. L’armée israélienne y a ensuite instauré unilatéralement une nouvelle zone de sécurité. Depuis la prise de pouvoir par les rebelles syriens, environ 132 incursions terrestres ont été recensées dans la région.

Loin de chercher l’apaisement, le ministre de la Défense israélien Israël Katz a réagi ce jeudi en affirmant que ces attaques constituaient « un message clair et un avertissement pour l’avenir ». Katz a de plus affirmé que les forces armées de son pays maintiendraient leur présence dans les zones tampons établies à l’intérieur du territoire syrien, tout en poursuivant leurs opérations contre toute menace à la sécurité d’Israël. 

Le ministre israélien a par ailleurs mis en garde le président syrien Ahmad al Sharaa, le nommant par son nom de guerre Abu Muhammad al Julani : « Je préviens le dirigeant syrien Jolani : si vous permettez à des forces hostiles d’entrer en Syrie et de menacer les intérêts sécuritaires d’Israël, vous paierez un lourd tribut ».

Condamnations syriennes et internationales

Le ministère syrien des Affaires étrangères a fermement condamné les attaques, les qualifiant de « violation flagrante du droit international » et d’ « atteinte à la souveraineté nationale ». Dans un communiqué publié quelques heures après les premières frappes, Damas accuse Israël de chercher à prolonger la crise syrienne et à entraver les efforts de reconstruction, après plus de 14 ans de guerre.

Le ministère affirme que cinq sites ont été bombardés en l’espace de 30 minutes, causant des destructions à l’aéroport de Hama et des blessés parmi les civils et les militaires. « La Syrie appelle la communauté internationale à faire pression sur Israël pour qu’il respecte le droit international », conclut le texte, appelant les Nations unies à agir rapidement pour éviter une nouvelle escalade.

Geir Pedersen, l’envoyé des Nations Unies pour la Syrie, a dénoncé « les escalades militaires répétées et intensifiées d’Israël en Syrie », affirmant qu’elles compromettaient « les efforts visant à construire une nouvelle Syrie en paix avec elle-même et avec la région », appelant Israël « à cesser ces attaques, qui pourraient constituer de graves violations du droit international ».

Les pays arabes ont de même unanimement condamné les actions israéliennes. L’Arabie Saoudite et le Qatar, importants soutiens financiers dans la difficile reconstruction de la république syrienne, ont dénoncé les agressions répétées de l’Etat hébreu et mis en garde contre le risque grandissant de déstabilisation de la région. Même son de cloche du côté de l’Egypte, de l’Irak, de la Jordanie ou encore du Koweït. Réactions similaires concernant la Ligue Arabe, le Conseil de Coopération du Golfe, la Ligue Islamique mondiale et l’Organisation de coopération islamique.

La Turquie en ligne de mire

Ces frappes s’inscrivent dans une montée des tensions entre Israël et la Turquie, parrain de l’ex Armée Syrienne Libre lors de la guerre civile syrienne et qui a toujours entretenu d’étroites relations avec feu Hayat Tahrir Sham dont les forces ont renversé le régime Assad en décembre 2024. Les bonnes relations entre le nouveau gouvernement d’Ahmad al Sharaa et le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan suscitent de profondes inquiétudes au gouvernement israélien. 

Le gouvernement Netanyahu craint que l’Etat turc ne participe à la reconstruction de l’arsenal militaire de son voisin et allié syrien, en lui fournissant notamment drones et systèmes de défense antiaérienne, lesquels protégeraient le ciel syrien et neutraliseraient grandement la supériorité aérienne israélienne dans la région, réduisant de façon conséquente les capacités d’action de Tsahal, qui tire sa principale force militaire dans ses manœuvres aériennes.

Le président syrien Ahmad al Sharaa rencontre le président turc Recep Tayyip Erdogan à Ankara le 4 février 2025. (Crédits : Présidence Turque)

Début janvier, Le Comité Nagel, une commission gouvernementale israélienne établie en août 2024 ayant pour objectif principal d’évaluer le budget de la défense d’Israël et de formuler des recommandations stratégiques pour les dix années à venir, indiquait à cet effet dans un rapport au gouvernement israélien qu’ « Israël doit se préparer à une potentielle guerre avec la Turquie » et que « La menace provenant de la Syrie pourrait évoluer en quelque chose d’encore plus dangereux que la menace iranienne », avertissant en outre que les forces soutenues par la Turquie pourraient agir comme des proxies, alimentant l’instabilité régionale.

Commentant ce rapport, Benyamin Netanyahu déclarait « Nous sommes témoins de changements fondamentaux au Moyen-Orient. L’Iran a longtemps été notre plus grande menace, mais de nouvelles forces entrent en scène, et nous devons être prêts à l’imprévu. Ce rapport nous fournit une feuille de route pour sécuriser l’avenir d’Israël. ».

Une source israélienne a à cet égard indiqué au quotidien hébreu The Jerusalem Post que les frappes nocturnes du 2 avril « visaient à adresser un message à la Turquie : nous ne vous permettrons pas d’établir une présence en Syrie. ».

Réaction turque

Le ministère turc des Affaires étrangères a ce jeudi mis en garde Israël contre toute action susceptible de compromettre les efforts de stabilisation en Syrie.

Dans un communiqué relayé par l’agence de presse Anadolu, le ministère déclare : “Nous devons nous demander pourquoi Israël est si préoccupé par les événements en Syrie et au Liban, qui annoncent de grands espoirs de paix, de stabilité et de prospérité dans notre région et bénéficient du soutien du monde entier.

Le communiqué de la Turquie ajoute : « Il n’y a eu aucune provocation ni attaque dirigée contre Israël depuis le terrain syrien », poursuivant que « Ces attaques simultanées témoignent d’une politique étrangère qui prospère sur le conflit. ».

Le ministère dénonce par ailleurs les propos tenus par les responsables israéliens à l’encontre de la Turquie et affirme que ceux-ci cherchaient avant tout à détourner l’attention de la communauté internationale des opérations menées par leurs forces à Gaza et en Cisjordanie : « Ils ne peuvent pas dissimuler la réalité de ce qu’ils font à Gaza, la guerre qu’ils mènent contre le peuple palestinien, la violence des colons israéliens (illégaux), ni leur intention d’annexer la Cisjordanie ».

Enfin, le texte assène qu’Israël représente désormais la principale menace pour la sécurité régionale, en raison de ses attaques répétées contre l’unité nationale et l’intégrité territoriale des États voisins.

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